Guillaume Delvigne
Entre rigueur et douceur
Guillaume Delvigne vient du dessin, son trait est pur, simple et évident. Une précision dans la forme qui flirte volontiers avec l’inattendu. Une règle qui ne déroge pas pour sa table à rallonge Losange, nouvellement créée pour la collection printemps – été 2015, chez Habitat. Rencontre avec le designer au talent éclectique.
Quel est votre parcours ?
Après mon diplôme de l’École de Design Nantes Atlantique et de Politecnico di Milano, j’ai travaillé à Milan auprès de George J. Sowden, cofondateur du mouvement Memphis. En parallèle, j’ai commencé à dessiner mes propres objets qui ont été édités par la maison d’édition Industreal. Puis de retour à Paris, j’ai travaillé pour différents studios, les RADI Designers, Delo Lindo, Marc Newson, Cédric Ragot… En 2011, j’ai reçu le Grand Prix de la création de la Ville de Paris et dans la foulée, j’ai ouvert mon propre studio. À ce jour, mes collaborations sont assez éclectiques avec des marques de renom comme Tefal, Hermès, Fabbian, Habitat et de jeunes éditeurs comme super-ette, La Chance et Hartö. Avec la ToolsGalerie ou autres projets personnels, je laisse libre cours à ma fibre artistique !
Quelles sont vos influences ?
Multiples bien évidemment mais je dois avouer que mon parcours italien m’a fortement imprégné. Le design fait partie intrinsèque de la culture italienne avec son lot de grands designers comme Ettore Sottsass, Enzo Mari, Achille Castiglioni… Pour moi, ça reste la quintessence du design, une formidable ouverture d’esprit. Avoir Andrea Branzi comme professeur et travailler aux côtés de Sowden, nul ne peut espérer meilleur apprentissage. J’en retiens leur extraordinaire appétence à réenchanter le monde, à démultiplier les usages, à mélanger matières et volumes en réponse à une forme d’aseptisation du design. Et, je reste avant tout très admiratif du travail d’Ettore Sottsass, de l’homme dans sa faculté à explorer tous les territoires.
Comment vous définissez vous sur la scène du design ?
Libre et éclectique ! Les gens qui font appel à moi, viennent me chercher pour mon sens de l’équilibre, entre rigueur et douceur. Si je travaille presque essentiellement dans l’univers de la maison, du design industriel au design d’objets (articles culinaires, art de la table, objets et mobilier pour la maison), il m’importe de le faire à des échelles différentes. Passer de la grande distribution au luxe est un exercice de style que je m’impose. Un designer ne doit pas rester confidentiel dans sa démarche, il m’importe de créer des produits plus humbles pour les rendre accessibles au grand public.
« Il faut de la rigueur, du tranchant, des arêtes pour que la lumière accroche. »
Guillaume Delvigne © Baptiste Heller.
Quelle est votre approche créative ?
Je recherche avant tout la pureté et l’évidence dans la lecture de l’objet. Une certaine élégance dans la simplicité aussi. Tout part du dessin, c’est lui qui mène à une qualité plastique et sculpturale de l’objet. Je privilégie les formes douces et simples avec une constance pour les formes géométriques. Des lignes droites et des cercles que je travaille sans fin à la règle et au compas ! Je fuis surtout les formes molles. Il faut de la rigueur, du tranchant, des arêtes pour que la lumière accroche. Bref, la forme prime avant le matériau et la couleur. De ce côté, je n’ai aucune prérogative, c’est souvent l’univers de la marque ou la demande créative qui induit le choix du matériau. Côté couleurs, je réfléchis d’abord en termes de masse, clair/foncé, froid/chaud, et la gamme vient après. Quelle que soit le type de collaboration, mon travail s’instruit dans l’univers de la marque. À moi de le comprendre, d’en traduire le brief avec son cahier des charges. Les dessins suivent et laissent place au débat avec la direction artistique.
Lampe O10, Guillaume Delvigne (2010), Specimen
Editions © Gabriel de Vienne
Table basse Uluru, Guillaume Delvigne (2011), ToolsGalerie © Thomas Mailaender
Table Losange, Guillaume Delvigne, Habitat
Quelle a été votre mission pour Habitat ?
Créer une table à rallonge, sans en faire un produit rigide et minimaliste, mais plutôt fort en personnalité. Dans ce cas précis, l’exercice n’est pas simple car il ne faut pas nuire à la fonction. La rallonge étant la contrainte, j’en ai fait son point fort par le jeu d’une animation géométrique en son centre de table avec une forme en losange qui évolue vers un hexagone quand on agrandit la table. Dans l’expression de deux tonalités claire/foncée, elle reprend les codes de la marqueterie en toute simplicité. Ici, la lecture vise à sublimer le côté bois massif du plateau qui semble plus large que ce qui se passe en dessous. Pour ce faire, la table est allégée avec des chants fuyants et les pieds sont traités en retrait avec un angle assez fort. C’est agréable à l’œil, doux, fluide et subtile en adéquation avec l’esprit Habitat !
Quel autre objet/meuble aimeriez vous travailler pour Habitat ?
Des meubles de rangement. C’est un exercice complexe que j’aimerais bien aborder, tout simplement parce que c’est difficile de faire quelque chose d’intéressant dans ce domaine ! C’et d’autant plus réaliste et challengeant que ça répond à une demande très forte du marché. Et comme je travaille plus souvent sur de petits meubles, la création d’un canapé contemporain, simple et différenciant, fait aussi partie de mes envies !
Quel regard portez vous sur la création d’aujourd’hui ?
Force est de constater que s’il y a de plus en plus de designers sur le territoire, il y a aussi plus de possibilités pour s’exprimer. C’est donc une chance ! Reste qu’il faut trouver sa légitimité créative sur un marché aujourd’hui somme toute assez frileux. Il importe donc de rechercher sa voie, de comprendre où on se situe et de cultiver son expression personnelle. C’est ce que je fais en poussant la création avec la ToolsGalerie et en collaborant avec les jeunes maisons d’édition qui offrent également des tremplins vers l’international.
Quelle est votre actualité du moment ?
En dehors de la table Losange pour Habitat, j’ai créé une étagère lumineuse pour Bellila qui sort en janvier à Maison & Objet. Un fauteuil chez Harto à la session de septembre. Et toujours des projets en cours avec Hermès, Veuve Clicquot et Tefal. Dans le registre des accessoires de cuisine, je participe à la prochaine biennale du design de Saint-Etienne dans le cadre d’une exposition collective qui regroupera 16 designers. « À toutes les sauces » agite la création dans l’univers de la cuisine et de l’art de la table. L’idée est de proposer de nouveaux d’objets qui mettent à l’honneur la forme, la couleur et la fonction mais aussi des qualités matérielles, oniriques et poétiques.
Biennale Internationale Design Saint-Etienne - Le sens du beau - Du 12 mars au 12 avril 2015
Buffet Staffa, Guillaume Delvigne (2011), ToolsGalerie © Thomas Mailaender